La mobilité électrique au cœur de la réinvention des mobilités

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Mis à jour le samedi 12 mars 2022 by Olivier Delahaye

Le 3 février 2015, en partenariat avec Grand Paris Métropole, EDF organisait la première session d’un cycle de rendez-vous consacrés au Grand Paris et à son évolution électrique. Placées sous le double regard de l’histoire et de la prospective, ces rencontres font intervenir de grands acteurs de la ville, posent les problématiques actuelles et futures du thème invité et imaginent les innovations qu’elles engendrent. Cette première session fut consacrée à la mobilité électrique urbaine. Nous vous proposons d’en retrouver ici, en plusieurs temps, les principaux échanges.

Et si le concurrent le plus direct de la voiture était le vélo à assistance électrique (VAE) ? Le bureau d’études spécialisé dans la mobilité et l’urbanisme, 6t, vient de publier une enquête réalisée dans quatre pays européens (France, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni) auprès de propriétaires de VAE. 45% des répondants disent l’utiliser tous les jours ou presque, 39% déclarant s’en servir pour se rendre à leur travail. Le VAE est perçu comme pratique (38%), bon marché (32%) et plus rapide que la voiture en ville ; 49% des répondants disent, d’ailleurs, moins utiliser leur voiture depuis qu’ils ont un vélo à assistance électrique (17% davantage). Au final, 6t considère donc qu’il fait « sens de promouvoir le VAE comme mode métropolitain, en le plaçant en concurrent direct de la voiture particulière et de l’autosolisme plutôt que comme complément aux autres modes de transport alternatifs. »

Les chiffres sont là pour attester de la vitalité du marché : 854 000 VAE ont été vendus en Europe en 2012, contre 98 000 en 2006. En France, le marché a progressé de 22% en 2013. Le phénomène est encore plus prononcé en Chine où l’on compte 20 millions de VAE vendus par an depuis 2007.

« Un deuxième âge des transport »

Ce petit détour par le vélo électrique souligne un fait essentiel pour la mobilité urbaine : la diversification des moyens de transport. Il y a trente ans, un Parisien avait grosso modo le choix entre sa voiture, les transports ferrés (métro, RER et trains de banlieue) et le bus. Aujourd’hui, il trouve aussi sur son chemin le tramway, Autolib’, Vélib’, quand il n’utilise pas son propre vélo ou son scooter. Certains se déplacent en Segway, en trottinette, en rollers tandis que les touristes prennent place dans des cyclopousses. Demain, il sera question de gyropodes, de rollers motorisés, de robots d’assistance à la marche ou de capsules ferroviaires… Très prochainement, les transports publics mobiliseront d’autres modes de déplacement avec le téléphérique, notamment, sans parler des grands projets que constituent le Grand Paris Express ou les Tangentielles qui, à moyen terme, mettront, comme le dit Sophie Espié, responsable des relations institutionnelles à la RATP, « 90% des Franciliens à moins de 2 km d’une gare ».

Assistant à la marche de Honda
Walking assist, l’assistant à la marche de Honda

Le choix de sa propre mobilité croît de façon exponentielle et se double de nouveaux services comme le covoiturage et l’autopartage. Comment va s’organiser ce pullulement ? L’historien Alain Beltran rappelle que le début du 20e siècle avait connu d’une autre manière « un empilement de mobilités, faisant coïncider les moyens de locomotion les plus anciens avec les plus modernes. La circulation à cheval disparut du fait de cette sensation d’étouffement. Et, plus tard, le tramway fut aussi victime de l’encombrement des rues de Paris. » Nous serions aujourd’hui à un stade équivalent, ce que Gilles Bernard, président de GIREVE, nomme « un deuxième âge des transports. »

Nous sommes dans une période de coexistence entre d’anciennes technologies, d’anciens comportements et l’émergence de nouveaux services et de nouvelles façons de voir les choses.

Alexandre Fremiot

Pour Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation chez Valeo, « l’automobile et les moyens de transport d’aujourd’hui sont exactement au même point que les téléphones il y a 15 ans. Mais l’automobile est aussi mal adaptée : elle passe 93% de son temps à l’arrêt, et fait 90% de ses trajets avec une seule personne à bord, quand quatre personnes en moyenne sont prévues. On voit que l’usage ne correspond pas au besoin. »

Un sentiment partagé par Alexandre Fremiot, chef de l’Agence de la Mobilité à la Ville de Paris : « Nous sommes dans une période de coexistence entre d’anciennes technologies, d’anciens comportements et l’émergence de nouveaux services et de nouvelles façons de voir les choses. Un exemple l’illustre : la tension entre les taxis et les véhicules de transport avec chauffeur. Le rôle de l’autorité publique est de parvenir à concilier tout ça, à faire de la place aux nouveaux entrants tout en ménageant les acteurs plus historiques. »

« Demain, un carrefour sera un objet connecté »

L’autorité publique fait face à une autre équation redoutable pour prendre en compte la diversification mobilitaire : son emprise sur une infrastructure viaire qui a ses limites. À moins de réinitialiser cette sensation d’étouffement dont parle Alain Beltran, il va falloir « de plus en plus partager l’espace », comme le souligne Jean-Hubert Wibrod, président Île-de-France du pôle de compétitivité Mov’eo.

D’abord de façon statique en réaffectant certaines voiries : la décision récente de mettre en place des voies dédiées aux taxis et aux bus sur les autoroutes menant aux aéroports franciliens en est un exemple ; les pistes cyclables, elles, sont déjà totalement intégrées à notre quotidien. Mais aussi de façon dynamique. La communication généralisée entre véhicules, utilisateurs et infrastructures en est à ses balbutiements. Certes, le précurseur programme SIRIUS (Système d’information pour un réseau intelligible aux usagers) délivre des informations sur ses panneaux lumineux depuis le début des années 1990, mais l’avenir prépare des connexions d’une toute autre ampleur : « Demain, un carrefour sera un objet connecté, avec la possibilité d’allouer le trafic en fonction de la typologie du véhicule, du nombre d’occupants ou même de la politique que voudra mener le responsable de l’infrastructure », prévient Jean-Hubert Wilbrod.

Le véhicule serviciel est électrique

L’époque veut aussi que la mobilité électrique coïncide avec la montée en puissance de l’économie collaborative. Ou peut-être n’est-ce pas une coïncidence. Sophie Espié cite cette donnée importante : « 8,5 % des kilomètres parcourus en voiture en Île-de-France sont d’ores et déjà réalisés en autopartage ou en covoiturage. » La Ville de Paris entend surfer sur cette tendance : « Nous pensons qu’il y a un vrai changement en cours du rapport à l’automobile, notamment dans les centres urbains denses. Notre conviction est que l’on se dirige de plus en plus vers des véhicules serviciels, partagés et propres », explique Alexandre Fremiot. Fort du succès d’Autolib’ (60 000 abonnés en trois ans), Paris a donc lancé Utilib’, un service à destination des professionnels, et pourrait orienter le partage vers d’autres modes comme le scooter ou le VAE.

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Publicité Utilib, ou autolib en mode utilitaire… et rouge

Même s’il s’agit pour la Ville de redistribuer les places de stationnement, de faire de la place au véhicule partagé, elle en voit l’intérêt : « Un véhicule partagé permet de diminuer et de remplacer de 7 à 15 véhicules en détention », selon Alexandre Fremiot. Elle en envisage aussi les externalités : « Les personnes qui se dirigent vers ces services utilisent aussi plus de services diversifiés comme le vélo ou les transports en commun. Au final ils utilisent moins la voiture que s’ils en possédaient une en propre. »

Propre, comme le véhicule électrique. C’est la troisième lame qui vient conforter cette politique : l’économie du partage est avant tout électrique. Elle apparaît donc comme un pivot de la lutte contre la pollution atmosphérique. Car dans l’inconscient collectif, se trame peut-être l’idée que ce qui est à essence est de l’ordre du privatif et du possessif tandis que ce qui est électrique ressort du bien commun et du partage.

Plus de mobilité = plus de démobilité ?

On ne parlera donc plus de mobilité mais de mobilités. Puisque l’offre s’accroît, la demande se précise et les voyageurs deviennent des experts de leur mobilité, « ils sont de plus en plus agiles dans la maîtrise de leurs déplacements, dans la maîtrise de leur temps, explique Sophie Espié. Ils savent s’adapter, arbitrer et aménager leur emploi du temps pour optimiser leur quotidien. » Ce n’est pas non plus le meilleur des mondes, les usagers des lignes A du RER font plutôt l’expérience d’une infrastructure ultra saturée. Le développement de réseaux lourds comme le Grand Paris Express ne parviendra sans doute pas à résoudre seul la problématique de la surcharge des réseaux.

Rotterdam rémunère les usagers de la route s’ils décident de reporter leurs déplacements ou s’ils décident de ne pas se déplacer.

Jean-Hubert Wilbrod

En fait, une plus grande offre tendrait même à développer le besoin de mobilité. Sur le principe connu du « bidule qui crée le bidule », le transport crée du transport. D’où l’esquisse d’une autre tendance : la démobilité. Mais qui pour arbitrer cette démobilité ? Jean-Hubert Wilbrod cite le cas de Rotterdam dont « l’initiative consiste à rémunérer les usagers de la route s’ils décident de reporter leurs déplacements ou s’ils décident de ne pas se déplacer. » Plus proche de nous, certaines entreprises du territoire de Plaine Commune ont mis en place des horaires décalés pour favoriser les déplacements de leurs salariés. Mais le modèle qui, semble-t-il, possède le plus d’avenir est le tiers-lieu. Au départ surtout conçus pour les professions libérales et les indépendants, les télécentres sont devenus un outil de développement territorial autant qu’une réponse à la problématique de transport. En Seine-et-Marne, Initiatives Télécentres 77 a pour vocation à redynamiser certains territoires ruraux.

Interopéra… quoi ?

Ainsi, la mutation des mobilités nous laisse à penser que l’homo urbanus se destine à posséder une pléthore de moyens de transport, mais qu’il pourrait tout aussi bien se déplacer moins. Ne serait-ce pas, plutôt, se déplacer mieux ? Aurélien Ouellette, chargé d’affaires, chez SODETREL, résume cela assez efficacement : « Quand je demande à mes clients : “que souhaitez-vous pour votre mobilité urbaine ?“ Ils me répondent – et nous devons être humbles face à cette réponse – : “Je veux aller d’un point A à un point B et que ce soit le plus simple possible“ »

Tout est dit, ou presque, car « faire simple, comme le dit le directeur de l’innovation chez Valeo, Guillaume Devauchelle, est la chose la plus compliquée qui soit. » A moins de construire pour chaque trajet une ligne de métro personnelle ou d’offrir un hélicoptère à chacun, il faut bien en passer par l’intermodalité. En d’autres termes, relier les différents moyens de transport entre eux et le faire de manière à ce qu’il n’y ait pas de rupture entre les trajets. Cela veut dire développer l’offre de vélo et de parkings en gare, mais aussi assurer la mobilité électrique en des points névralgiques. Ce processus est déjà en cours, mais il se double d’un autre chantier un tant soit plus complexe : l’interopérabilité. Aurélien Ouellette, à nouveau : « Je suis un habitué de Bruxelles, et lorsque je descends du Thalys, cela me paraît naturel d’ouvrir mon smartphone et de voir que j’ai switché sur le réseau belge 3G. En revanche, ce n’est absolument pas naturel pour moi et les autres voyageurs qui descendent du Thalys de pouvoir utiliser les transports en commun belges avec une carte de transport d’Amsterdam ou de Paris. Chacun appréciera la complexité entre différences d’interopérabilité pour les transports et les télécoms… »

De la sollicitation à l’effondrement

D’un point de vue technique, l’interopérabilité se cherche dans l’ouverture des données que prône Gilles Bernard, et se trouve dans le développement des applications smartphone. L’opérateur de services de recharge Freshmile en conçoit des solutions, comme celle consistant à avoir accès à n’importe quel type de borne de recharge à partir d’un seul abonnement. Le défi technique n’est sans doute pas l’obstacle majeur. L’enjeu est surtout d’ordre politique, économique et juridique.

Si l’on peut penser comme Jean-Hubert Wilbrod que « la révolution du partage va se faire au travers de l’apparition de systèmes coopératifs, via l’apparition de communautés dynamiques qui échangeront des quantités d’information sur leur mobilité, via des applications smartphone qui connecteront véhicules, usagers et infrastructures », et si l’on peut penser que « le champ de ces applications est infini », on peut aussi s’interroger sur un déferlement de données qui rendrait la mobilité de chacun plus labyrinthique, faisant du trajet A-B d’Aurélien Ouellette un circuit à multiples inconnues, bardé de choix et de possibilités.

S’appuyant sur l’ouvrage de Jospeh Tainter, L’effondrement des sociétés complexes, le prospectiviste Thierry Gaudin avertit : « Le système de communication draine un flot d’informations immense mais il aboutit aussi à des saturations cognitives. Là où l’horloge du 19e siècle structurait le temps en secondes, notre technologie le structure en nanosecondes, soit dix puissance moins neuf. Pour autant, il faut à notre cerveau un dixième de seconde pour reconnaître quelqu’un dans la rue. La technologie va donc 100 millions de fois plus vite que les neurones. Nous en sommes aujourd’hui à limiter un certain nombre de communications et à faire en sorte de nous protéger de cette espèce de sollicitation permanente. » Les mobilités vont nous solliciter en permanence, électriques souvent, simples c’est autre chose.

Prochain article : Un destin automobile : la voiture autonome

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