Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
INTERVIEW. Laurent Chalard est géographe-consultant à l’European Centre for International Affairs. Il fait ici le constat d’une université francilienne dont la localisation, hors Paris intramuros, apparaît dénuée de bon sens. Avec des répercussions dommageables pour son attractivité et la qualité de son enseignement.
Du point de vue de la géographie urbaine, de quelle manière s’organise l’université dans le Grand Paris ?
Deux visions de l’université coexistent en France. La première est celle du campus à l’américaine, autrement dit un très vaste espace entièrement consacré aux études et dans lequel on retrouvera toutes les fonctions universitaires : lieux d’enseignement, bibliothèques, hébergements, gymnases, stades… Soit un campus fermé non connecté à la ville. Ceci est lié à l’histoire urbaine spécifique des États-Unis où l’on a toujours tendance à rester dans un entre-soi. Le deuxième modèle, c’est l’université européenne historique de la ville médiévale que l’on rencontre à Paris avec La Sorbonne ou à Bologne. L’université y est un élément central de la ville au même titre que les logements, les commerces, les équipements publics ou les bureaux. En l’occurrence, elle est ouverte sur la ville.
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Quand on observe ce qui se passe sur le Grand Paris, mis à part quelques implantations historiques, la plupart des universités franciliennes ne sont pas du tout implantées au sein de pôles de centralité. Elles ont plutôt été posées au milieu de nulle part, là où il y avait du terrain disponible comme la Cité Descartes qui a été construite hors de toute centralité urbaine, qu’elle soit historique ou nouvelle. Pareil pour Villetaneuse qui aurait pu suivre une logique campus, mais qui au fond est une université qui se voudrait ouverte sur son environnement. On ne peut pas dire que Villetaneuse soit un campus où il fait bon vivre.
On est dans l’entre-deux.
On n’a pas suivi de modèle, finalement. Du point de vue de l’environnement des universités, si l’on souhaite qu’elles deviennent attractives, il y a un énorme travail à accomplir. Imaginons un étudiant étranger qui vient visiter Villetaneuse, il va y réfléchir à trois fois avant de s’inscrire parce que pour un pays développé comme la France, ça ne fait pas très sérieux.
Peut-on tout de même créer de la centralité autour d’universités qui n’en ont pas ?
Sur le papier, ça peut paraître pertinent. Sauf que la centralité, ça ne se décrète pas ex-nihilo. D’abord, cela demande un effort de construction extrêmement important. Il faut des équipements, des logements pour les étudiants, des commerces… Cela peut prendre des dizaines d’années, coûter très cher, et au final vous n’êtes même pas sûrs que cela prenne. En Île-de-France, on se rend compte que les centralités qui fonctionnent le mieux sont les centralités historiques. Au contraire, dans les villes nouvelles construites autour de la voiture, les centralités ont été dispersées si bien que vous n’en trouvez pas. C’est le problème de Marne-la-Vallée dont l’université est disséminée sur trois centralités : la Cité Descartes à Champs-sur-Marne, Mont d’Est, et un nouveau morceau à Val d’Europe. Comment créer une centralité à la Cité Descartes alors que sur le même territoire, vous avez d’autres centralités ? On n’y arrivera pas. Tout ce que l’on obtiendra c’est plusieurs centralités secondaires qui ne seront guère attractives pour les étudiants.
Comment faire ?
Il existe un autre moyen qui consisterait à relocaliser les universités les plus mal loties en terme d’urbanité. Prenons Villetaneuse. Pourquoi ne pas l’installer dans le centre de Saint-Denis ? Vous avez là tous les transports en commun possibles et une centralité commerçante historique qui ne demande qu’à être rénovée. Idem à Saclay où l’on va construire des bâtiments dispersés au milieu des champs sans réelle volonté politique de faire ville, alors que vous avez Massy et une gare RER existante. À Saclay, la première chose que feront les étudiants quand ils auront envie de sortir c’est de prendre le métro et d’aller à Paris.
On reste bloqué dans une géographie urbaine issue des années 1960 ?
Effectivement, nous sommes toujours sur ces vieux schémas qui décrètent le développement, qu’il soit économique ou universitaire, de façon planificatrice. On considère qu’il suffit de définir un point sur la carte pour y créer de la centralité plutôt que d’examiner où se situent réellement les pôles de centralité existants pour y installer les nouveaux équipements universitaires. On procède à l’envers.
Il est étrange de remarquer que l’idée maîtresse du Grand Paris est de construire la ville sur la ville tout en installant des universités dans les champs, à Saclay ou à la Cité Descartes. On fait le contraire de ce qui a été énoncé.
Apparemment, on est face à des décisions technocratiques de personnes qui ont cherché un espace urbanisable à moindre coût. L’avantage du plateau de Saclay est que l’on peut construire vite et pas cher. Construire sur la ville est évidemment plus compliqué et plus cher.
N’y a-t-il pas un manque criant de communication entre élus locaux et universitaires ?
Cela a été vrai pendant longtemps. Les universités franciliennes, au niveau de leurs dirigeants, vivaient en vase clos. L’insertion urbaine n’a jamais été leur priorité. Ils n’ont jamais réfléchi à comment l’université allait rayonner sur son environnement immédiat. Mais c’est aussi vrai du côté des municipalités qui ont souvent regardé les bâtiments universitaires comme des équipements urbains imposés par l’État sur leur territoire.
Donc le manque de connexion provient des deux côtés, avec de sérieux ratés. Exemple une nouvelle fois avec Marne-la-Vallée. Au tout début, il était prévu d’installer une université à Noisy-le-Grand qui avait vocation à devenir le centre de la ville nouvelle. Ça ne s’est pas fait. Puis, quand les effectifs étudiants ont explosé au début des années 1990, on a relancé ce projet et comme le besoin devenait urgent on a construit là où il y avait du foncier disponible et pas cher. Cela a donné la Cité Descartes, qui n’a jamais été pensée comme une ville. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on tente d’en faire une ville.
Au final, on obtient une géographie universitaire peu lisible.
Effectivement : morcelée et peu lisible. Et des universités peu connues en dehors de leur secteur de recrutement. À une exception près : Paris-Orsay, qui a une vraie réputation à l’international. Pour le reste, il s’agit essentiellement d’universités locales de premier cycle.
L’atout que peut constituer l’économie de la connaissance pour la métropole est-il alors gâché ?
Il est bon de rappeler que l’Île-de-France est la principale région universitaire d’Europe. Elle est aussi leader dans le domaine de la recherche. Son potentiel est considérable. Cependant, étant donné le fonctionnement réel des universités, on constate qu’un certain nombre d’étudiants sont des étudiants sur le papier, pas très bien formés. Le niveau est trop bas dans trop d’universités de la banlieue parisienne qui se retrouvent désertées par les bons élèves qui préfèrent aller sur Paris ou dans les grandes écoles. Elles finissent par devenir des universités de seconde zone.
Les infrastructures de transport prévues pourront-elles désenclaver certaines universités ?
Elles vont améliorer les liaisons, mais certaines universités resteront éloignées avec des ruptures de charge qui ne les mettront pas forcément en relation directe avec Paris.
En ce qui concerne le Grand Paris Express, le souci est que ses lignes n’ont pas été pensées en fonction de l’origine géographique des étudiants. À Marne-la-Vallée, les étudiants proviennent essentiellement de Seine-et-Marne, pas du Val-de-Marne où existe déjà l’université de Créteil. Par conséquent, la station prévue à Noisy-le-Champ ne va pas leur servir à grand chose.
Pareil pour Saint-Quentin-en-Yvelines qui accueille surtout des étudiants des Yvelines : de Plaisir, vous n’avez pas très loin pour vous rendre à Guyancourt, mais c’est la galère pour y aller. En fait, plutôt que pour les étudiants, le métro du Grand Paris a été pensé pour les enseignants et les chercheurs qui ont besoin de circuler dans tous les sens.
Verra-t-on la lumière avec la création de l’EPAURIF, le regroupement des universités, leurs schémas directeurs ?
Ce qui est positif c’est le regroupement des universités, d’un point de vue administratif j’entends, parce qu’on avait une trop grande dispersion. Cela permettra de créer des entités beaucoup plus importantes qui pèseront d’avantage à l’échelle internationale et offriront des économies d’échelle. Mais suffit-il de se regrouper pour être plus fort ? Tant que l’on ne portera pas l’effort sur la qualité de l’enseignement et de son niveau, on ne pourra pas passer d’une université de seconde zone à une université leader mondial. Mais remettre à niveau les universités du Grand Paris sur leur premier cycle, cela implique aussi de remettre à niveau l’enseignement primaire et secondaire dès lors que les universités de la banlieue francilienne recrutent essentiellement leurs étudiants dans leur environnement proche. On ne peut donc pas penser le problème uniquement en termes universitaires, c’est une refonte totale de la structure d’enseignement en banlieue parisienne qu’il faut conduire, notamment au nord et à l’est de la région parisienne.
La situation est-elle différente pour les grandes écoles ?
Sur le niveau d’enseignement, il n’y a pas de problème, il est très bon. Sur la localisation, le choix a souvent été fait de campus à l’américaine, en préférant s’éloigner des pôles de centralité pour vivre en vase clos. C’est le cas pour l’École polytechnique ou pour HEC, et même pour l’ESSEC qui se trouve à Cergy. Cela convient à l’esprit de corps des grandes écoles où l’entre-soi est recherché. C’est plus un problème pour les communes qui les abritent, les grandes écoles ne participant pas à l’urbanité du territoire.
Le Grand Paris pourrait-il être « la capitale de l’Europe des universités », comme le dit Pierre Veltz ?
Objectivement, pourquoi pas. En raisonnant sur l’Île-de-France, il s’agit déjà de la métropole la plus peuplée d’Europe avec Londres. Donc, en termes quantitatifs, on sera toujours les premiers. On est dans une logique de chiffres : tant d’étudiants ça fait telle puissance. Alors qu’il faudrait se poser la question du nombre de brevets déposés par les doctorants, par exemple, et le comparer avec ce qui se passe ailleurs. Le problème qui se pose est qualitatif, et il semblerait qu’on ait peu réfléchi à ça : qualité des bâtiments, qualité de l’accueil, qualité de l’enseignement, qualité de la recherche…
… et donc revenir aux étudiants.
L’université, qu’est-ce-que c’est sinon un lieu d’enseignement ? Le but est de former des étudiants et donc il faudrait peut-être bien revenir à eux, oui, à leur formation et aux lieux où ils sont censés apprendre.
[…] Laurent Chalard : « Le Grand Paris veut construire la ville sur la ville, mais installe ses univers… […]